Abraham MASLOW
Psychologie humaniste... à redécouvrir
octobre 2008 - © copyright Thierry TOURNEBISE
Je vous propose de découvrir l’approche particulièrement humaniste d’Abraham Maslow. Docteur en psychologie, il est surtout connu pour la « pyramide des besoins » dans laquelle ses successeurs, par indélicatesse ou par incompétence, l'ont indûment enfermé. Cette représentation architecturale n'a jamais été évoquée par Maslow lui-même. Elle est hélas si réductrice qu’elle nous éloigne de la profondeur de qu’il a souhaité nous transmettre.
Maslow nous invite plutôt à considérer l’humain du point de vue de son humanité, de son potentiel et non de ce qui pourrait être mauvais en lui. Il propose un regard très innovant sur la façon de considérer la psychopathologie. Il nous offre une subtile observation du fonctionnement social (synergie), de la façon que les individus ont de vivre entre eux, de la façon qu’ils ont aussi de vivre avec eux-mêmes, dans la reconnaissance ou dans l’oubli de leur propre nature.
Sommaire
1-Une certaine affirmation de soi
Une approche particulèrement humaniste
2-Notions de carences
Des causes non traumatiques - Carences et
développement - Un être humain en devenir-
Du côté psychosomatique
3-Les besoins fondamentaux
Les besoins physiologiques (survie physique)
- Besoins de sécurité (survie sociale) -
Besoins d’appartenance ou « d’amour »
(encore survie sociale) - Besoin d’estime
(survie intérieure)- Besoin
d’accomplissement de soi (vie intérieure)
4-Les besoins ontiques (Vie dans le monde)
Une certaine fragilité - Quelques besoins
ontiques - Concernant la créativité - Difficulté
à parler de l’ontique
5-Représentation pyramidale
Maslow n'a jamais parlé de pyramide!
6-Métapathologies
Implications pathologiques - Notion de
menace et de beauté de l’être - Un mot sur le
besoins névrotique - Notions de pulsions
instinctoïdes
7-Notion de synergie
Sociétés et synergies (Ruth Benedict) - Idée
d’ensemble dynamique - Ne pas réitérer le
paradoxe de Zénon d'Élée
8-Rapports avec la validation existentielle
Bibliographie
Maslow nous invite à considérer l’humain du point de vue de son humanité, de son potentiel et non de ce qui pourrait être mauvais en lui. Il propose un regard innovant sur la psychopathologie.
Abraham Maslow nous propose une vision de la psychologie humaniste insuffisamment connue. Il cherche plutôt ce qui est noble en l’humain afin d’en accompagner le développement, que ce qui est mauvais afin de l’en « purger ». En ce sens, il a consacré plus de temps à l’étude de la santé mentale qu’a celle de la psychopathologie. Il dénonce le « courant dominé par la tradition médico-thérapeutique d’éradication de la maladie. »
Il voit en l’être humain un individu en développement, souffrant parfois de carences, mais pas un être à épurer, à tronquer, à saigner, à nettoyer du mauvais en lui.
Il ose une différence importante par rapport à de nombreuses autres approches de la psyché qui laissent malheureusement entendre « que les profondeurs de la nature humaine sont dangereuses, maléfiques, prédatrices et voraces ». Il dénonce courageusement de telles dérives, allant jusqu’à pointer que « Toute croyance qui incite les hommes à se méfier d’eux-mêmes et des autres sans nécessité et à douter sans fondement des possibilités humaines, doit être considérée partiellement responsable des guerres, des rivalités entre les races et des massacres perpétrés au nom de la religion » (ibid. p.107).
Abraham Maslow est connu pour la « pyramide des besoins »… alors qu’il n’a jamais parlé de « pyramide » ! Il a parlé de « hiérarchie » des besoins, et ce n’est pas tout à fait la même chose. Maslow prend même une certaine distance avec la dimension pyramidale, en ce sens où, même s’il y a une hiérarchie, tous les besoins sont toujours un peu là en même temps, mais dans des proportions qui varient au cours du développement d’un être.
La volonté de créer des catégories puis de les dénombrer est, selon lui une aberration dans le domaine humain. En effet, pour créer des catégories, il convient de séparer des éléments en décidant qu’ils sont distincts les uns des autres en fixant certains critères. Pour réaliser cela on est alors obligé de négliger un grand nombre de détails, car un individu n’est jamais « totalement ceci » ou « totalement cela ». Les chiffres, qui dénombrent les individus ainsi « réduits », ne sont alors que des approximations arbitraires d’où il peut être dangereux de déduire ce qu’on croit être la réalité (et encore plus d’en déduire des théories). Il remet en cause certaines études pseudo scientifiques, sans toutefois en nier la valeur… tant qu’elles restent à leur place et ne prétendent pas révéler une vérité du monde.
Cependant il ne s’est pas privé de faire allusion à la théorie des ensembles en évoquant l’idée d’ensembles plus vastes contenant des ensembles plus restreints. Maurice Merleau-Ponty avait une opinion analogue sur le fait de ne pas prendre ce qu'on projette dans le monde pour le monde lui-même.
Il tente de donner à chaque chose sa place dans un ensemble plus vaste.
Un des points forts de Maslow est d’envisager les psychopathologies sous un autre angle que sous celui des causes traumatiques. En effet, il est courant d’associer un symptôme psychologique à une ou à des causes traumatiques et l’enjeu des psychothérapies est justement de libérer de cet impact antérieur. Maslow, lui, va plus loin et l’envisage sous l’angle des carences au niveau des besoins fondamentaux.
(Lire : « Devenir le meilleur de soi-même » (édité en 2008 chez Eyrolles).
le symptôme n’est pas là « à cause de » la circonstance traumatisante, mais « spécialement pour » retrouver et réhabiliter celui que nous étions lors de cette circonstance. Il n’y a donc rien à éliminer mais plutôt à retrouver un vide (vide de soi), puis à retrouver ce qui doit y prendre place (une part de soi) pour enfin le combler (et ne plus seulement le compenser).
J’y parle donc aussi d’une carence, d’un manque, d’un vide… d’une « carence de soi » quand une part de soi nous manque. Le symptôme n’est alors pas considéré comme une pathologie, mais comme le moyen par lequel l’individu tente de retrouver cette part manquante de lui-même. Il s’agit aussi d’une forme d’accomplissement de soi.
Quoique tous deux dans une démarche humaniste, Maslow et moi-même ne tenons pas le même discours sur le sujet, mais nous y trouvons de signifiantes analogies.
D’ailleurs Maslow, tout comme moi, n’aime pas tellement les mots « thérapie » et « patient » : « Je déteste le modèle médical qu’ils impliquent parce qu’ils présupposent que la personne qui vient consulter est malade, assaillie par la maladie, en quête de guérison. Nous espérons vraiment, bien entendu, que le conseiller sera celui qui pourra favoriser l’accomplissement des individus plutôt que celui qui aidera à guérir d’une maladie » (Maslow, 2006, p.72-73). Je ne peux que partager un tel point de vue et c’est dans cette ligne que se place le praticien en maïeusthésie (maïeusthésie).
Nous verrons, un peu plus loin (plus en détails) qu’il y a trois sortes de besoins, si tant est que nous pouvons les catégoriser… ! Car, comme nous l’avons vu plus haut, un regard plus holiste (d’ensemble) reste nécessaire (selon Maslow lui-même, 2008, p.319 à 354). Toute catégorisation implique des réductions qui faussent la réalité et cela aussi nous y reviendrons.
Il y a les besoins fondamentaux comportant les « besoins physiologiques », puis les « besoins socio-psychologiques ». Ensuite il y a les métabesoins dits « besoins ontiques » concernant l’être, concernant le plan existentiel.
Une carence à chacun de ces besoins peut donc générer une psychopathologie dont la cause est plus carentielle que traumatique. De même que le scorbut est causé par une déficience en vitamine C et non par un agent infectieux, les psychopathologies sont, selon Maslow, engendrées par des carences de satisfaction au niveau des besoins physiologiques, psychologiques ou ontiques. Le remède consiste alors en le fait de combler la carence. « La privation des besoins fondamentaux est susceptible, on le sait, de créer des maladies à ranger dans la catégorie des maladies « carentielles" » (Maslow 2006, p.43), qu’il s’agisse du plan physiologique, sociopsychologique, ou du plan ontique.
Maslow ne voit pas alors un sujet atteint d’une maladie psychique au sens où on l’entend habituellement. Il voit un sujet en voie d’émergence, de développement humain, plus ou moins empêché dans son accomplissement à cause de carences.
La psychopathologie n’est alors plus considérée comme l’expression de quelque chose à enlever, à chasser, à purifier ou à éradiquer... mais simplement comme l’indice qu’un être en devenir doit être accompagné pour simplement aller vers ce qu’il a à être, pour accomplir sa vraie nature, pour aboutir à une complétude du Soi.
Le paradoxe est que nous vivons dans un monde à qui nous devons la vie, à qui nous devons d’exister, mais qu’en même temps ce monde semble nous rendre difficile la tâche qui consiste à venir vraiment au monde. D’un côté nous ne serions rien sans l’existence des autres, mais de l’autre, les autres freinent l’émergence de soi. Il y a sans doute là un processus pertinent qui nous échappe, deux réalités apparemment contradictoires qui contribuent à quelque chose qui nous construit plus que nous ne le croyons. Comme le dit Maslow, au niveau ontique, les dichotomies (oppositions) s’évaporent et ne sont plus un problème (p.253) A ce stade on va « Dépasser les dichotomies pour aller vers un ensemble d’ordre supérieur » (2006, p.302).
Avec Maslow, nous retiendrons surtout l’idée d’un individu en train de « devenir humain », « plus humain », animé d’instincts qui lui sont propres et le distinguent particulièrement de l’animal, le portant progressivement vers les valeurs ontiques (de l’être). Maslow insiste sur la nature instinctoïde de ce processus et n’y met aucune métaphysique particulière. Il s’agit, pour lui, de l’humain en accomplissement de soi, de sa propre nature, qu’il convient plus d’accompagner dans sa croissance intérieure que de guérir d’hypothétiques maladies venant de l’extérieur.
Il souligne que le regard sur le plaisir a culturellement été embrouillé et n’a pas permis de voir clairement ces besoins fondamentaux et ontiques de l’humain : « Je pense que la principale raison pour laquelle les théories hédonistes* de valeurs et de l’éthique ont échoué au cours de l’histoire est que les philosophes ont enfermé les plaisirs motivés par la pathologie avec ceux qui le sont par la bonne santé » (2006, p.27). *[Hédonisme : philosophie du plaisir]
Nous allons parcourir en détails les besoins fondamentaux et les besoins ontiques balisant cette croissance. Puis ensuite nous remettrons en cause la représentation en pyramide qui a maladroitement été déduite de la notion de hiérarchie des besoins et tenterons une représentation plus proche des propos de Maslow, afin de tenir compte de la dimension systémique ou holiste de l’ensemble de ces données, et de ne pas trop les séparer les unes des autres.
Maslow remarque que « La plupart des psychiatres et de nombreux psychologues et biologistes en sont venus à supposer que la quasi-totalité des maladies, sinon la totalité, peuvent être considérées comme psychosomatiques ou organismiques. Ce qui signifie que si l’on examine une maladie ˝physiologique˝ assez profondément, on découvrira inévitablement des variables psychiques, personnelles et sociales à prendre en compte en tant que facteur déterminant » (2006, p42).
Il examine les recherches de Helen Dunbar (Psychosomatic Diagnosis - New York : Hoeber, 1943) qui a utilisé des personnes ayant des fractures osseuses comme groupe témoin, partant du principe que, là au moins, il n’y a pas d’enjeux psychosomatiques et que ce groupe est neutre au sujet des enjeux psychiques, « Elle a découvert à sa profonde stupeur qu’il en existait. En conséquence de quoi, nous sommes maintenant très au fait de la personnalité sujette aux accidents ainsi que, si je puis l’appeler ainsi, de l’ ˝environnement accidentogène˝. Donc une fracture peut, elle aussi, être psychosomatique et ˝sociosomatique˝, si vous me passez l’expression. » (ibid. p.42).
Les besoins fondamentaux sont les sources de motivation de l’être humain. Ils déterminent ses désirs, ses élans. Tout d’abord, pour ne pas perdre notre vue d’ensemble et rester prudent quant à une sectorisation excessive, nous devons commencer par préciser que « le désir est un besoin de l’individu tout entier » (Maslow, 2008, p.42) et non seulement d’une partie de lui. « A l’instar de l’arbre qui a besoin de rayons du soleil, d’eau et de nourriture, la plupart des gens ont besoin d’amour, de sécurité et de la satisfaction d’autres besoins élémentaires que seul l’extérieur peut leur fournir » (ibid. p.219).
Même si l’on remarque que la satisfaction d’un besoin le fait disparaître et fait naturellement apparaître le besoin juste « au dessus », il ne semble pas tout à fait exacte non plus de les séparer totalement. Il est évident qu’un individu continue d’avoir besoin de nourriture, même s’il a atteint les « niveaux » ontiques (c’est-à-dire les niveaux de l’être). Il se peut simplement que son rapport à la nourriture devienne différent, mais cela ne l’exempte pas de manger pour vivre ! Si elle ne dure pas trop et n’est pas trop radicale, nous remarquons simplement que la frustration de nourriture lui sera plus supportable que pour un sujet ayant durablement souffert de la frustration des besoins élémentaires et n’ayant pas encore goûté les saveurs ontiques. « Ce sont précisément les individus chez qui un besoin donné a toujours été satisfait qui sont le mieux armés pour en tolérer la carence dans le futur » (Maslow, 2008, p.60). Au niveau de la stabilité et de la sécurité d’un individu, Maslow souligne que « Les individus ayant connu des carences dans le passé réagiront différemment à la satisfaction actuelle de ces besoins que ceux qui n’ont jamais souffert de manque » (ibid. p.61).
Nous noterons aussi que la satisfaction d’un besoin libère l’individu et lui permet de se tourner vers autre chose de plus « social » ou de plus « ontique » (selon le niveau de besoin qui a été satisfait). La remarque de Maslow sur la notion de hiérarchie des besoins est explicite : « Une des implications importantes de cette formulation est
que la satisfaction devient un concept aussi important que la privation dans la théorie de la motivation, puisqu’elle libère l’organisme de la domination d’un besoin comparativement plus physiologique, permettant par là même l’émergence d’autres buts, plus sociaux » (ibid. p.60).
Dans ce qui va suivre, nous différencierons soigneusement la vie de la survie : la vie c’est pour exister pleinement, la survie c’est juste pour ne pas disparaître et assurer le minimum. Cette distinction est nécessaire pour différencier les besoins fondamentaux des besoins ontiques que nous aborderons plus loin. Les besoins ontiques (besoins de l’être) sont ceux qui permettent à un individu de devenir pleinement humain.
Maslow ne prend pas la peine de dénombrer tous les besoins physiologiques, tant ils sont nombreux : besoin de dormir, besoin de se nourrir, besoin de se réchauffer, besoin de se rafraichir, logement, habillement, besoin sexuel, besoin de respirer, besoin de lumière, besoin d’espace, besoin de mouvement…etc. L’exemple avec la nourriture est néanmoins souvent utilisé.
Dans les besoins physiologiques, nous trouvons donc le besoin de nourriture. « Si le corps manque d’un certain élément chimique, l’individu tendra à développer un appétit spécifique, ou faim partielle pour cet élément nutritif » (Maslow - 2008, p.58).
C’est ce qu’on appelle l’« homéostasie » (ce qui pousse à rétablir un équilibre intérieur). Mais il n’est pas si aisé de définir de quel besoin il s’agit quand on observe un comportement, car celui-ci peut être motivé à un autre niveau que le niveau apparent. C’est ce qui rendait Maslow prudent quant aux classifications. « …tout besoin physiologique et le comportement d’assouvissement qui lui est lié servent de canaux à toute sorte d’autres besoins. Une personne qui pense qu’elle a faim peut en fait rechercher davantage du confort ou de la dépendance, par exemple que des vitamines ou des protéines » (2008, p58).
Le besoin sexuel peut se trouver dans les besoins physiologiques, si on l’assimile simplement à la pulsion libidinale venant du ça, décrite par Sigmund Freud. Freud utilise même une image naturaliste pour illustrer ce phénomène : le pseudopode de l’hydre (Freud, 1985, p55-56) qui est ce prolongement urticant qu’elle utilise envers ses ennemis ou ses proies. En effet, le principe de la libido est que l’émetteur est le « sujet » et le récepteur est l’« objet »… et que le premier, d’une certaine façon « captative », se « nourrit » du second. Même si l’opération peut être réciproque (ce qui la rend acceptable), nous sommes bien là au niveau d’un besoin fondamental quasi « nutritif » (naturellement cela manque quelque peu de romantisme ou de poésie !). Mais si nous allons un peu plus loin, nous pourrons parler aussi de besoin de reproduction, pour perpétrer l’espèce… très physiologique aussi (pas très
romantique non plus, mais ô combien incontournable pour l’espèce !). Plus loin, la sexualité d’un sujet qui est au niveau du « besoin d’estime » se manifestera plus par des projets de performances que par un élan de rencontre. La sexualité ne se trouve pas dans « un niveau de besoin » mais peut s’exprimer différemment à chaque niveau. Ainsi, nous pourrons aussi considérer la sexualité sur le plan de la rencontre, sur le plan ontique, où l’enjeu est un enjeu de rencontre intime entre des êtres. Ce type de contact n’a rien de platonique et Maslow dit même qu’au niveau de l’accomplissement de soi « La sexualité peut être la source d’un plaisir extrême, plus intense que pour un individu moyen, tout en ne jouant pas un rôle prépondérant dans leur philosophie de la vie » (2008, p242).
Dans tous les cas, nous noterons que « Lorsqu’ils sont chroniquement satisfaits, les besoins physiologiques et leurs buts partiels cessent d’exister comme déterminants ou organisateurs du comportement » (2008, p.60), ce qui les différencie des besoins névrotiques dont la satisfaction n’amène pas l’apaisement (nous y reviendrons plus loin).
Quand les besoins physiologiques sont satisfaits, apparaissent alors tous les besoins que l’on peut classer dans la catégorie des « besoins de sécurité » (tout en gardant à l’esprit une certaine prudence par rapport à l’idée de catégorie ou de classement). Cela devient donc la nouvelle quête de l’individu, l’axe de son nouvel « appétit ». Il recherchera « sécurité, stabilité, dépendance, protection, libération de la peur, de l’anxiété et du chaos, besoin d’une structure, de l’ordre, de la loi et de limites, sentiment de force parce qu’on a un défenseur, etc. » (Maslow, 2008, p.61).
En effet il ne suffit pas d’avoir à manger ou d’avoir bien dormi, mais aussi de ne pas se sentir menacé. A ce stade un individu ne peut se contenter des satisfactions physiologiques, il veut éviter les menaces de frustration et tout ce qui pourrait mettre sa propre existence en péril (la menace, quand elle se concrétise pouvant être source de psychopathologie comme nous le verrons un peu plus loin).
Ici, l’individu n’aime pas trop le changement et a besoin des choses familières. Il prône l’inertie et aura tendance à se méfier de la nouveauté. Toute nouveauté est pour lui a priori suspecte, sauf si elle assure la sécurité espérée.
Maslow remarque ainsi la désespérance des managers face aux plaintes incessantes de leur personnel, car ceux-ci n’ont pas compris la succession des besoins où chaque besoin satisfait en amène un autre, de degré immédiatement au dessus : « Toutefois, selon la théorie, on ne doit jamais s’attendre à ce que les plaintes cessent, mais simplement à ce qu’elles touchent des besoins d’ordre plus élevé » (2006, p.270). Quand l’inertie est rencontrée, elle signale souvent la quête d’un besoin de sécurité. Puis, quand « l’appétit » de sécurité est satisfait ce besoin « disparaît » ou devient extrêmement discret. D’autres besoins se révèlent : le besoin d’appartenance et d’amour.
Le nouvel « appétit » est ici un appétit de rencontres, de relations avec les gens.
Nous y trouvons une difficulté à supporter la solitude (Maslow, 2008, p.63). Nous noterons que plus un besoin est élevé, plus il appartient en propre à l’être humain et non aux animaux. Quoi que moins indispensable à la survie immédiate, quand ce nouveau besoin apparaît, l’individu aura l’élan de le satisfaire. Cela devient son nouvel axe de motivation, son « nouvel appétit ». Comme pour les autres besoins, sa frustration peut finir par engendrer une psychopathologie. Cependant, « Plus le besoin est élevé, moins il est indispensable à la survie seule, plus sa satisfaction peut être différée dans le temps » (2008, p.114), mais il doit être satisfait à un moment ou à un autre.
J’ai le sentiment que le mot « amour », utilisé par Maslow à ce niveau, ne convient pas tout à fait et brouille les pistes. En effet je mettrais l’amour dans les métabesoins ontiques et non dans les besoins d’appartenance. Il s’agit plus ici de se sentir accepté dans un clan que de se sentir aimé ou d’aimer. Un peu comme d’y être inclus, tel un enfant dans le ventre de sa mère, mais sans encore être né au monde (encore que la mère a généralement de l’amour pour l’enfant qu’elle porte !). Le groupe joue plus ici le rôle d’une enveloppe de gestation pour l’individu en devenir que celui d’une source d’amour. Cela fait transition avec le besoin de sécurité, car la sensation d’appartenance pousse plus loin la sécurisation. Mais parler ici « d’amour » me semble prématuré.
L’individu, à ce stade, est plus en quête de conversations (relationnelles) que de réels échanges (communicationnels). Il n’est pas encore dans la « considération envers autrui », mais dans le « besoin d’autrui ». Si vous lisez ma publication de septembre 2001 sur « l’assertivité » vous trouverez la différence précise que je fais entre « relation » et « communication » : dans le « relationnel » les informations comptent plus que les êtres et génèrent de l’affectivité et de l’attachement, alors que dans le « communicationnel » les êtres comptent plus que l’information et cela génère de la liberté et de la chaleur humaine. Pour reprendre le langage de Maslow, nous pouvons dire que le communicationnel est plus « ontique » (on s’ouvre à l’autre) et que le relationnel est plus « physiologique » (on se sert de l’autre). Il parle même de « langage ontique » (2006, p.336).
Le besoin de relations fait partie du besoin d’appartenance (d’ailleurs « relation » signifie « relié ») alors que la communication fait partie du besoin d’amour (notons que « communicant » signifie « ouvert »). Maslow nous précise : « Ne négligeons pas non plus le fait que le besoin d’amour implique à la fois de donner et de recevoir de l’amour » (2008, p.65), ce qui indique bien l’idée d’ouverture et ne permet pas de le placer dans le relationnel. En effet, il parle de « langue ontique », pour intuitivement différencier le communicationnel du relationnel (même s’il ne le nomme pas ainsi) : « D’ailleurs d’autres impressions, plus vagues encore, me dictent que la communication facilitée par l’usage de la langue ontique s’accompagne d’une grande intimité avec l’interlocuteur, du sentiment de partager des loyautés communes, d’oeuvrer pour un même objectif, d’être en ˝sympathie˝, de ressentir comme un lien de parenté avec lui, d’en être en quelque sorte coresponsable »
(2006, p.273).
Je ne placerai donc pas au même niveau le « besoin d’amour » (donner et recevoir) et le « besoin d’appartenance ». Tout se passe plutôt comme si l’individu développait dans ce dernier une existence collective, mais dans laquelle il n’a pas encore d’existence propre. Il existe, pour le moment surtout à travers le groupe, à travers la parole des autres, mais pas encore en tant que lui-même. Il doit même se retenir un peu d’être trop lui-même s’il veut faire partie du clan ! Cependant, cette « enveloppe » constituée par « les autres » (ce groupe auquel il appartient) lui permet d’accéder progressivement à une existence propre, à poursuivre son développement vers lui-même, à être ce qu’il a à être (même si c’est encore un peu dans le secret), à devenir « plus humain ». Cela ne lui permet pas encore la créativité qui ne ferait que le conduire à prendre le risque de ne plus faire partie du groupe. Il se contente ici d’une sorte de « moi collectif ».
L’apparition d’un « moi personnel » nécessite encore un pas vers un besoin supérieur qui est le besoin d’estime. Au niveau du besoin d’estime, il dépend encore d’autrui, mais il s’en servira pour affiner l’existence de son moi, avant d’accéder à l’accomplissement de soi puis aux besoins ontiques ultérieurs. Nous remarquerons souvent que Maslow, hélas n’a pas distingué entre le moi et le soi, même s’il fait quelque fois allusion à un « moi supérieur » comme pour donner une sorte d’intuition ou d’ébauche du soi, qu’il ne nomme jamais vraiment en tant que tel.
Quelques exemples de ce manque de précision concernant la différence entre le moi et le soi :
« Mais il s’agit dans tous les cas d’un moi plus profond ; plus profond d’une manière fonctionnelle tel que l’envisagera un psychologue ou un psychothérapeute, c'est-à-dire qu’il faudra creuser pour le trouver, comme on le fait pour un minerai que l’on ne peut atteindre qu’après avoir traversé plusieurs couches de surface » (2006, p.104) En fait il parle ici du Soi. « Si les valeurs ontiques sont assimilables au moi et en deviennent les caractéristiques définissantes […] c'est-à-dire que le moi individuel se fond dans l’univers tout entier et se perd en lui. » (2006, p.367) En fait il parle également ici du Soi.
« …, des penseurs humanistes ont défendu l’idée d’une conscience intrinsèque au-delà du surmoi… » (2006, p.373) Parlant de « conscience », il ne parle pas ici du surmoi (qui n’est qu’une prothèse de conscience) mais du Soi.
« La médiatisation ou la concentration sur un objet extérieur à notre propre psyché peut provoquer l’oubli de soi et, par conséquent, la perte de conscience de soi-même et en un certain sens la transcendance de son ego ou du moi conscient » (2006, p.297) Il parle en fait ici de la disparition du moi et de l’émergence du Soi.
« Les forces inhibitrices de la conscience (du moi) » (2006, p.85) Il parle, en réalité, du fait que le moi inhibe la conscience du Soi.
Nous voyons que les embrouilles des termes « moi » , « soi » et « conscience » sont fréquentes dans le domaine psychologique et ne permettent pas toujours la clarté nécessaire d’un propos, déjà si délicat à formuler. [pour plus de précisions lire « ça, moi, surmoi et Soi » de novembre 2005]
A ce niveau l’individu va avoir pour appétit de se constituer un moi plus signifiant. Il va se mettre en quête d’estime venant d’autrui, afin de conforter sa propre existence au monde. Le but ultime ici étant de développer une suffisante valeur personnelle et de mieux se positionner avec une meilleure stabilité intérieure. Il s’agit en réalité d’une autre forme de sécurité : une sorte de stabilité intérieure le rendant moins vulnérable au monde extérieur.
Qu’il s’agisse de briller aux yeux d’autrui ou à ses propres yeux, il développera compétences et performances afin d’asseoir sa réputation ou son prestige. L’individu tente ici de se définir comme utile au monde (le monde a besoin de lui). En réalité l’individu ne fait ici que développer son moi. Faute d’une réelle affirmation de Soi, il construit et utilise un ego suffisant pour disposer de l’assurance dont il a besoin.
A ce stade, il se doit d’être créatif, au risque parfois de déplaire et de manquer sa cible (il ne pouvait le faire avant d’avoir sécurisé son besoin d’appartenance).
Ainsi il lui faut se distinguer en prenant quelques risques. Il est alors bien au-delà du besoin précédent, qui le maintenait un peu dans un « profil bas » afin de ne pas être rejeté, afin de rester intégré au groupe, afin de ne pas être banni.
Il va donc tenter de se surpasser et peut être conduit, dans sa quête, à se mentir à lui-même, ou à duper les autres pour paraître « plus qu’il n’est en réalité » (ou plus exactement, paraître « autre que celui qu’il est en réalité », car nous n’avons pas à émettre de jugement sur ce qu’est chacun). Comme il manque encore d’affirmation de Soi, il peut parfois s’égarer dans de tels développements purement égotiques, qui risquent finalement plus de l’encombrer que de le servir. Maslow souligne ce piège, sur : « …le danger de fonder l’estime de soi sur les avis des autres, plutôt que sur la réalité de ses capacités, de ses compétences, de son aptitude à la tâche » (2008, p.66).
Ce cheminement chaotique amène l’individu, si tout va bien, à trouver une certaine estime de la part d’autrui, le conduisant aussi à une certaine estime personnelle de lui-même. Sa position au monde étant de ce fait mieux assise (car il a non seulement la sécurité du groupe, mais aussi la sécurité de sa valeur personnelle), il va ressentir un nouvel appétit : celui de l’accomplissement de Soi.
Encore une fois, je prendrai personnellement soin de différencier la « constitution de l’ego » de « l’accomplissement de soi ». Je suis désolé de tant insister sur le sujet, mais la confusion est si rependue, y compris chez les professionnels psy, qu’il n’est pas superflu d’y revenir. L’ego conduit à une sorte de « paraitre » (même quand il est fondé sur une valeur réelle, on s’en sert pour briller), alors que l’accomplissement de soi consiste en une qualité de présence, sans revendication de ses qualités. Alors que l’ego brille de façon clinquante, le Soi, lui, est lumineux avec douceur. Quelqu’un qui est dans l’ego fait de l’ombre aux autres (par ses performances affichées), alors que celui qui a développé le Soi offre confort et ressource à ceux qu’il côtoie.
Ainsi, celui qui a satisfait son besoin d’estime par le développement d’un moi suffisant, découvre alors un nouvel appétit : celui de l’accomplissement de Soi. Il réalise que, sans l’accomplissement de soi, l’existence du moi, et l’adoration que les autres y porte ne le remplissent pas. Nous trouvons quelque fois cela chez un artiste qui, une fois adulé de tous (son souhait initial) se morfond d’être admiré et de ne pas être rencontré. Il développe un nouvel appétit : celui d’« être » dont il a le pressentiment qu’il le comblera plus que celui de paraître.
Nous arrivons ici à l’émergence du Soi, dont nous venons de voir la différence d’avec la constitution du moi (pour ceux qui veulent des précisions supplémentaires sur ces notions de « moi » et de « Soi » je propose de lire ma publication de novembre 2005 « Le ça, le moi, le surmoi et le Soi ». Vous noterez que le moi se construit alors que le Soi émerge. L’un est fabriqué pour un usage temporaire, alors que l’autre préexiste et attend de surgir au monde.
L’accomplissement de soi ne se réalise pas par une nouvelle construction, ni par une nouvelle performance, ni en brillant davantage, mais en développant une nouvelle sensibilité : celle qui permet d’accéder à ce qu’on est vraiment. « Un homme doit être ce qu’il peut être. Il doit être vrai avec sa propre nature » (Maslow, 2008, p.66). Il s’agit là de ce que l’individu est depuis toujours, mais qui n’a pas encore paru dans sa vraie nature. « C’était déjà », mais ce n’était que potentiel. Pour émerger ainsi, dans ce qu’il est au plus profond de lui-même, l’être humain a dû traverser plusieurs étapes de sécurisation, d’abord physiologiques, puis sociopsychologiques, et égotiques, pour ensuite laisser émerger librement sa nature profonde.
Il peut alors s’offrir le luxe d’une nouvelle sensibilité lui permettant d’être à l’écoute de sa réalité intérieure. Il ne s’agit plus, à ce stade de quelque chose lui venant de l’extérieur, mais de ce qu’il est, qui peut enfin être au monde. Ce qu’il est ne cherche plus à « prendre au monde » mais lui « offre » en quelque sorte sa présence. Il ne cherche ni à prendre (qui ne serait qu’ego vorace), ni à faussement donner (qui n’est souvent qu’ingérence ou pouvoir). De l’état captatif (prendre) du moi, il est passé à l’état oblatif (donner) du Soi. Il ne cherche pas « à donner » dans le sens d’imposer, ce qui peut revenir à chercher à avoir un effet sur autrui, comme le ferait le moi, il offre en laissant l’autre libre. Sa seule présence est un confort pour autrui qui ne se sent ni dévalorisé ni étouffé à ses côtés, ni par des actes, ni par des sous-entendus, ni par la moindre attitude.
La caractéristique majeure est ici l’authenticité. Maslow nous dit que « Cette tendance peut être formulée comme le désir de devenir de plus en plus ce que l’on est, de devenir tout ce qu’on est capable d’être » (2008, p.66). Il s’est retrouvé ici face à quelque chose d’une dimension insoupçonnée : « J’ai découvert que le besoin d’accomplissement est beaucoup plus fort que je ne l’imaginais » (2006, p257). Il s’est trouvé en face de l’humain devenant lui-même, découvrant que la pulsion de celui-ci le conduit à cette réalisation, au point qu’il parle « d’instinct propre à l’humain » le conduisant à devenir « de plus en plus humain ». Quant à moi je parlerai de « pulsion existentielle » venant du Soi (à ne pas confondre avec la « pulsion libidinale » venant du ça).
Quand cette étape est accomplie, l’individu découvre de nouveaux appétits qui vont lui permettre de déguster la vie avec une sensibilité nouvelle. Nous trouvons ici les besoins ontiques, les besoins concernant l’être, dont l’accomplissement de Soi fait la charnière avec les besoins ontiques.
Note : Avant de poursuivre, toujours dans le souci de ne pas trop sectoriser les étapes, les besoins et les motivations, puis de conserver un regard suffisamment holiste (global) je rappellerai que Maslow lui-même nous met en garde : « Si un besoin est satisfait, alors un autre émerge. Cette affirmation peut donner l’impression erronée qu’un besoin doit être satisfait à 100% avant que le besoin suivant émerge.
Dans la réalité, la plupart des individus normaux dans notre société sont en même temps partiellement satisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux et partiellement insatisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux » (2008, p.74).
Souvent nous aimons ce qui est bien classé, bien rangé, clairement identifiable et prévisible. Mais nous devons nous rendre à l’évidence que notre regard doit garder une certaine souplesse et ne pas chercher d’absolu. Il ne s’agit que de trajectoires, de directions et de sens, avec plusieurs « chantiers » en cours simultanément. Le « plus ou moins » aboutissement de l’un permet la « plus ou moins » émergence de l’autre et tout cela se côtoie, tout en se chevauchant.
Nous arrivons là dans une nouvelle zone, qui n’obéit plus aux mêmes règles. Il n’y s’agit plus de « besoins » à proprement parler, mais de « métabesoins ». Leur satisfaction n’a pas les mêmes conséquences psychiques que la satisfaction des besoins précédemment évoqués.
Avec les besoins précédents, « L’état de satisfaction se révèle n’être pas forcément un état de bonheur ou de contentement garanti. C’est un état incertain qui soulève plus de problèmes qu’il n’en résout. Cette découverte implique que, pour beaucoup de gens, l’unique définition d’une vie digne d’intérêt est de ˝manquer de quelque chose d’essentiel et de faire tout pour l’obtenir˝. » (2008, p.26-27). Maslow marque ainsi la spécificité des besoins qui sont inférieurs aux besoins ontiques. Dès qu’ils sont satisfaits, ils ne disparaissent que pour en révéler de nouveaux, plus élevés. Ils sont les éléments d’une sorte de quête sans fin… et d’une faim qui ne cesse jamais..
Il poursuit par : « Mais nous savons que les individus accomplis, même si leurs besoins fondamentaux ont été satisfaits, trouvent leur existence encore plus riche de sens parce qu’ils peuvent vivre, pour ainsi dire, dans le domaine de l’Être. La notion ordinaire, courante, d’une vie digne d’intérêt est donc fausse ou au moins immature » (ibid.). Il ne s’agit donc plus ici du même type de « faim », du même type « d’appétit ». Nous y trouvons un contentement qui n’ouvre pas forcément sur des appétits supplémentaires qui, s’il y en a, apportent de toute façon plus de plénitude et de contentement. Ils ne révèlent pas forcément de vides supplémentaires à combler (ou en tout cas pas de même nature, nous y reviendrons plus loin). Nous ne sommes plus à un niveau où il s’agit de survie ou de compensations, mais de réelles nourritures de l’être. Ce point ne peut se révéler explicitement que quand l’environnement (intérieur et extérieur) a été suffisamment sécurisé.
Nous arrivons à la zone expérientielle du Soi, de l’individu, de « l’être là ». Celui-ci commence ici sa croissance dans le monde. Jusque là elle n’était que gestative. De la même façon qu’un enfant grandissait déjà tout de même dans le ventre de sa mère, il va enfin pouvoir grandir dans le monde après sa naissance. Avec l’accomplissement de soi, l’individu n’a pas achevé sa croissance d’être, mais il est enfin vraiment au monde.
Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, ces besoins les plus élevés, les besoins ontiques, sont aussi les plus fragiles. C’est sans doute la raison pour laquelle ils ne peuvent pleinement se manifester tant que les besoins fondamentaux inférieurs ne sont pas satisfaits (nourriture, sommeil, sécurité, appartenance, estime). Ce qu’il y a de plus humain en nous semble aussi être ce qu’il y a de plus fragile. C’est certainement aussi pourquoi ils ont disparu de la maladroite « pyramide des besoins » car celle-ci n’a, semble-t-il, été évoquée que par des êtres n’ayant pas cette sensibilité.
« Nous en arrivons à ce paradoxe que nos instincts humains, du moins ce qu’il en reste, sont si faibles qu’ils doivent être protégés contre la culture, contre l’éducation, contre l’apprentissage – en un mot contre le risque d’être étouffés par l’environnement. » (2008, p119). Au point que Maslow souhaite nous faire remarquer qu’ « Une personne qui se soumet volontiers aux forces de distorsions présentes dans la culture (c'est-à-dire un sujet conforme aux normes établies) peut parfois se révéler moins saine qu’un délinquant, un criminel ou un individu névrosé prouvant par ses réactions qu’il possède suffisamment de courage pour défendre son intégrité psychique » (ibid. p.111). La caricature du propos souligne la difficulté à être soi au milieu d’une culture qui tend à « normaliser les êtres ».
Nous constatons effectivement trop souvent que les valeurs humaines peuvent, quand elles sont encore trop fragiles, rendre vulnérable au monde, qui est plus porté à les railler qu’à les apprécier. Un homme sensible à autrui, soucieux d’esthétique et de subtilités, peut être perçu comme « manquant d’affirmation », ou même de « virilité ». Pour être un « homme », il convient souvent, face au monde, d’être un « dur » !... c’est du moins ce qui est souvent cru, conduisant au paradoxe suivant « pour être un homme, il s’agirait de ne pas être trop humain ? ».
Ce n’est bien évidemment pas l’avis de Maslow : « Si nos besoins intrinsèques deviennent dignes d’admiration au lieu de nous paraître détestables, nous désirerons certainement les libérer pour leur permettre de s’exprimer pleinement au lieu de les enfermer dans un carcan » (ibid. p.120), mais il en sait la difficulté. C’est le rôle majeur de la validation existentielle sur laquelle j’ai publié un document en septembre 2008, qui permet à un individu de libérer tout ce qu’il a de meilleur en lui, de plus humain et qui lui permet rapidement de s’ouvrir à lui-même en psychothérapie.
Maslow estime là que « Nous nous heurtons à une nouvelle frontière où je pense ne pouvoir que jouer les chercheurs, les cliniciens ou les psychologues, et lancer tout ce que je sais et tout ce que j’ai à offrir, dans l’espoir que quelqu’un l’attrape et en fasse quelque chose » (2006, p.104). C’est dans cette même optique que je publie mes propres documents sur Internet.
Les détracteurs des valeurs ontiques et des métabesoins sont sans doute, hélas, animés par une sorte de peur ancestrale à leur sujet. « Il s’agit d’une chose que non seulement nous ne connaissons pas, mais que nous avons peur de connaître » (ibid. 104). Pourtant, « La démonstration qu’il peut exister et qu’il existe réellement des gens merveilleux – même s’ils sont rares et s’ils ont les pieds d’argile – suffit à nous donner le courage, l’espoir, la force de continuer à lutter, à avoir foi en nous-mêmes et dans nos propres possibilités de croissances » (2008, p34).
Les besoins ontiques ne peuvent être abordés de la même façon que les besoins élémentaires, et encore moins en les comparant. « Il est évident que nous ne pourrons jamais comprendre totalement le besoin d’amour, aussi étendu que soit notre savoir sur le moteur de la faim » (Maslow, 2008, p.43).
Les besoins ontiques se comportent aussi différemment des besoins fondamentaux puisque leur ordre d’apparition n’est pas prévisible, varie d’un individu à l’autre et n’est pas systématique. « Les métabesoins sont équivalents les uns aux autres, en moyenne –c'est-à-dire que je ne peux définir aucun système généralisé de prépondérance » (Maslow - 2006, p.357). Il est seulement systématique qu’après les besoins fondamentaux satisfaits, apparaissent des besoins ontiques, nommés aussi « métabesoins » ou « métamotivations ».
Voici quelques uns d’entre eux :
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Il importe qu’ils ne soient pas durablement frustrés quand ils se manifestent, sous peine de générer des troubles psychiques douloureux. « Vivre dans la beauté plutôt que dans la laideur est tout aussi nécessaire pour l’homme, d’une certaine manière définissable et empirique, que la nourriture pour un ventre affamé, ou le repos pour un organisme épuisé » (Maslow - 2006, p.66). C’est sans aucun doute sur ce registre que jouent le harcèlement moral et ses effets dévastateurs, dont la cause est, hélas, si souvent malaisée à prouver.
A ce niveau il y a la créativité la plus riche (besoins cognitifs, esthétiques ou autres), mais elle n’est plus motivée par l’ego, ni par le besoin d’estime, ni par celui de sécurité ou d’appartenance. Elle devient « expression de soi ». Elle ne cherche plus à produire un effet pour attirer l’attention, elle donne simplement à autrui la possibilité de la voir, de façon simplement oblative, sans aucune ingérence, ni aucune quête de pouvoir.
C’est là que nous trouverons les grandes découvertes et les grandes créations car il n’y a pas d’effet clinquant ou séducteur, mais juste un partage de ressenti. Maslow sépare cette capacité créative de l’intellect au point de dire que « Le problème, lorsque vous connaissez un peu les scientifiques, est que ce critère est mauvais dans la mesure où ceux-ci, en tant que groupe, sont loin d’être aussi créatifs que l’on peut généralement le supposer », ajoutant « Si je voulais être malveillant, je pourrais avancer que la science n’est qu’une technique permettant à des non-créatifs de créer » puis, « La science est une technique, sociale et institutionnalisée, où, même les gens inintelligents peuvent s’avérer utiles au développement de la connaissance » (2006, p.80). Nous trouvons ici des propos bien durs envers ses confrères, mais ils témoignent sans doute des difficultés qu’il a rencontrées auprès d’eux, en amenant des idées si novatrices. Une petite colère bien compréhensible, car il n’est pas si aisé d’amener du nouveau dans un environnement ayant déjà construit une pensée bien structurée.
Cette « petite » rébellion institutionnelle n’empêche pas Maslow de se sentir profondément touché par les grands hommes de l’histoire et d’avoir à leur égard une grande estime : « La transcendance du temps. Ainsi dans l’expérience que j’ai faite moi-même lors d’une cérémonie à l’université où je m’ennuyais et me sentais un peu ridicule dans ma toge, de me sentir soudain dériver jusqu’à devenir un symbole éternel, au lieu de l’individu furieux qui se morfondait ici-même, à ce moment précis.
J’entrevis ou j’imaginai que la procession s’étendait loin, très loin, encore plus loin, hors de portée de ma vue et qu’elle était conduite par Socrate, ce qui signifiait qu’un grand nombre de personnes m’avaient précédé là, et que j’étais le successeur et le disciple de tous ces universitaires, de tous ces professeurs et de tous ces intellectuels brillants » (2006, p.297-208). Poursuivant son imaginaire vers le futur, il se sent aussi touché par les hommes de science, les philosophes, les universitaires, les maîtres à penser à venir et visualise une longue file humaine, les rendant ainsi « contemporains » les uns des autres.
Le niveau ontique ne concerne donc pas plus les intellectuels que les autres êtres humains et Maslow n’hésitent pas à préciser qu’on peut le trouver dans n’importe quelle situation sociale et chez toutes personnes, cultivées ou non, de tous âges (même si on le trouve plus chez les personnes d’âge mûr).
Evoquer les besoins ontiques est délicat, pour ne pas dire indicible quand il s’agit de ne pas en trahir la subtilité. Maslow parle « d’ineffable » et tente cependant de clarifier, d’expliciter et de placer le mystique et le scientifique dans un ensemble plus vaste où se trouve l’ontique. Il entreprend cet impossible projet dans « Religions, valeurs et expériences paroxystiques » publié en anglais en 1964. Cet ouvrage est publié en français dans la compilation de plusieurs de ses textes nommée « L’accomplissement de Soi – de la motivation à la plénitude » chez Eyrolles.
Malgré la grande considération que j’ai pour A. Maslow et pour ses travaux, je trouve que son propos y est insuffisamment explicite. Il risque même d’éloigner les mystiques autant que les scientifiques, car les mots qu’il y utilise ont du mal à exprimer les réalités subtiles de l’ontique. Maslow risque ainsi de produire l’inverse de son projet de les rapprocher dans une vision plus holiste.
Néanmoins, nous remarquerons comment il différencie judicieusement les expériences paroxystiques et celles de plénitude : Les expériences paroxystiques sont des pics de « révélation », de bonheur, de sensations profondes et indicibles, qui ressemblent à une sorte de réalisation de soi temporaire (2004, p.151) assimilables paradoxalement à une sorte de « petite mort ». Les expériences de plénitude, elles, procurent quelque chose de moins fulgurant mais de plus profond et de plus rempli de vie, de plus durable (ibid, p.66).
Nous remarquerons aussi comment, de façon subtile Maslow évoque le domaine ontique avec des mots rappelant ceux qu’on trouve dans les témoignages de NDE (near death expérience), par exemple : « Les expériences paroxystiques peuvent être en effet si merveilleuses qu’elles s’apparentent à l’expérience de mourir, une mort enthousiaste et heureuse » (ibid, p.132) « j’ai pu comparer métaphoriquement l’expérience paroxystique à une visite à un paradis individuel d’où la personne revient ensuite sur terre » ou « d’un paradis qui existe en permanence tout autour de nous, toujours là pour que nous y entrions, pour un petit moment au moins » (ibid, p.133) « Le paroxystique revient plus aimant et plus tolérant, et ainsi plus spontané, plus sincère, plus innocent » (ibid, p.134). Les mots se bousculent pour décrire quelque chose qui ressemble à l’expérience de ceux qui reviennent d’une expérience de mort rapprochée et qui ne parviennent pas à l’exprimer, tant les mots exacts manquent pour de telles explications. D’où la fréquente incompréhension de l’entourage. Cela donne bien le ton de la subtilité de l’ontique ! Maslow ne veut entrer ni dans le mystique ni dans le religieux. Il veut seulement nommer quelque chose de naturel faisant partie de l’expérience humaine et déplore que la science l’ait boudé sous prétexte qu’elle était difficile à aborder. «J’ai parlé de perception unifiée, désignant par là la fusion du domaine de l’Être et du domaine des déficiences, la fusion de l’éternel et du temporel, du sacré et du profane, etc. » (ibid, p.150)
Pourtant cet ouvrage là me convient moins que les deux autres (2006 et 2008), du fait des mots et de certaines tournures choisies. Mais cela ne doit en rien ternir l’ensemble de son oeuvre qu’il convient d’entendre au delà de cette tentative de nommer l’indescriptible.
Cela explique peut être pourquoi tant de personnes se sont cristallisées sur cette fameuse pyramide (qui ne vient pas de lui) et sont restées sur des éléments plus simples, pour ne pas dire plus simplistes, réduisant honteusement Maslow à cette illustration architecturale inadaptée.
Si vous tapez « Maslow » sur internet, vous tomberez sur des centaines et des centaines d’images de pyramides. Certains plus judicieux ont tenté une illustration en cercles concentriques (en plaçant les besoins ontiques à l’extérieur et les besoins fondamentaux au centre).
Dans le chapitre suivant je vais tâcher de vous proposer une autre illustration des besoins (fondamentaux puis ontiques) en les plaçant à leur place de telle façon qu’ils soient toujours présents, mais dans des proportions variables. Rappelez vous : « Si un besoin est satisfait, alors un autre émerge. Cette affirmation peut donner l’impression erronée qu’un besoin doit être satisfait à 100% avant que le besoin suivant émerge. Dans la réalité, la plupart des individus normaux dans notre société sont en même temps partiellement satisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux et partiellement insatisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux » (2008, p.74)
La représentation traditionnellement pyramidale, qu’ont proposée les interprétations suite à Maslow, peuvent être remises en cause et affinées de la façon suivante :
Nous commencerons par représenter uniquement les besoins physiologiques par une base d’où s’élèvent deux courbes se rapprochant, dont les pointes montent sans cesse car les besoins physiologiques ne seront jamais absents.
Besoins fondamentaux physiologiques
Nous retrouvons un peu la pyramide, mais effilée vers le haut
Puis quand suffisamment de besoins physiologiques sont satisfaits, surgissent des besoins socio-psychologiques. Ils existaient déjà avant, mais n’étaient pas encore visibles du fait de la prépondérance des besoins physiologiques. Partent alors du milieu de la base deux courbes (en orange sur le schéma), qui s’épanouissent en s’évasant quand les besoins physiologiques sont suffisamment satisfaits. Mais elles vont se resserrer plus haut, car ces besoins deviendront, eux aussi moins prégnants quand émergeront les besoins ontiques.
Avec en plus les besoins fondamentaux psycho-sociologiques
Sous forme de losange.
(S’élargissent, avant de perdre de l’importance grâce à la sécurité donnée par l’ontique affirmé)
Quand les besoins socio-psychologiques sont suffisamment satisfaits, paraissent alors les besoins ontiques. Deux courbes s’évasant à l’infini vers le haut (en bleu sur le schéma).
Cependant, nous trouvons leurs points de départ joints sur la base, en bas, au centre, car ils existaient déjà. Ils n’étaient simplement pas perceptibles par la conscience, encore submergée par les besoins physiologiques d’abord, puis psychosociologiques ensuite. Ces besoins ontiques n’ont pas de limite, semblent immenses par rapport aux autres. Ils sont paradoxalement si fragiles qu’il faut pourtant les protéger contre les nuisances pour qu’ils émergent… mais en même temps ils sont plus vastes.
Quand ils sont là, ils diminuent considérablement la prégnance des besoins fondamentaux qui les précèdent. Ces derniers sont toujours là (on a toujours besoin de manger ou besoin qu’il y ait d’autres humains), mais d’une façon plus légère, plus libre, moins revendicatrice. La vie y est plus riche, plus goûteuse, si bien que les manques y sont rares et quand ils y sont, on en souffre moins (tant qu’ils ne sont pas absolus). La vie y a plus de saveurs (je vous rappelle que « saveur », « savoir », « sapidité », « sapiens » et « sagesse » ont la même étymologie. Voir ma publication d’avril 2007 « Goûter un supplément de vie »).
Donc notre schéma se poursuit par une émergence de deux lignes évasées qui s’écartent à l’infini, car les valeurs ontiques sont innombrables, non hiérarchisées, pleinement présentes, pour ne pas dire omniprésentes.
Avec en plus les besoins ontiques
Qui émergent de façon exponentielle et rendent les besoins psycho-sociologiques moins prégnants
Je vous propose maintenant de visualiser l’ensemble de ces représentations sur le schéma ci-dessous. Je ne les avais faites apparaître qu’une par une pour en clarifier l’explication.
Tous les besoins existent en même temps tout le temps, mais dans des proportions différentes.
Au début, l’ontique est fragile, car en faible proportion… mais déjà là !
Nous remarquons que tous les besoins sont là en permanence, mais dans des proportions différentes.
En bas, nous trouvons déjà (bien que faiblement) les besoins ontiques (encore très vulnérables et facilement percutés par les malveillances de l’environnement).
Plus haut, nous avons encore les besoins physiologiques, mais dans des proportions moins prégnantes car l’être est mieux « assis » par une sécurité socio-psychologique et ontique.
De leur côté les besoins socio-psychologiques diminuent quand les besoins ontiques s’étoffent. En effet, la stabilité intérieure apparaissant, le besoin de protection et de ressource extérieure diminuent. Ces besoins persistent jusqu’en haut car on a toujours besoin de l’existence des autres, mais simplement pas de la même manière. Cette schématisation ne prétend pas proposer une représentation idéale, mais elle tente de mieux tenir compte des différents paramètres.
Un des points forts de Maslow est de souligner à quel point il est souhaitable de tourner son attention vers ce qui est beau en l’être humain. Je suis particulièrement touché par ce propos car c’est ainsi que j’ai développé la maïeusthésie [vous pouvez en voir les précisions dans « le positionnement du praticien » (décembre 2007), « Psychopathologie » (avril 2008) et « Validation existentielle » (septembre 2008)].
Comme Carl Rogers, il prône la confiance inconditionnelle, comme Frans Veldman, il propose de voir le « bon en l’autre ». Il se désole que « Pour d’obscures raisons que seul l’historien des idées est capable d’élucider, la civilisation occidentale a généralement cru que l’animal en nous est un animal mauvais et nos pulsions les plus primitives sont néfastes, jalouses, égoïstes et hostiles » ajoutant que « Darwin était si imprégné de cette théorie qu’il ne voyait dans le monde animal que compétition, ignorant totalement la coopération pourtant aussi répandue, comme Kropotkine l’a facilement remarqué » (2008, p.105).
Il note aussi que « On entend beaucoup parler d’égoïsme inné et de destructivité chez les enfants, et on lit plus d’articles sur le propos que sur l’esprit de coopération, la gentillesse et la sympathie, etc. […] Les psychologues ont souvent considéré l’enfant en bas âge comme un petit diable, né avec le péché originel et la haine au coeur. » (2008, p.150)
Concernant les psychopathologies, il préfère parler d’atrophie ou de diminution d’humanité. « Nous pouvons utiliser les concepts d’˝atrophie ou diminution de l’humanité˝ au lieu de recourir aux termes d’immature, de malchanceux, de malade, de né avec des défauts, de défavorisé. La ˝diminution de l’humanité˝ les recouvre tous » (2006, p.317).
Maslow parle de métapathologie car il s’agit de carence des métabesoins (des besoins ontiques). Ceux-ci passent souvent inaperçus et sont habituellement relégués à un rôle secondaire alors qu’ils ont une importance remarquable.
Des pathologies sont ainsi mal diagnostiquées car le métabesoin carencé n’est pas identifié. Au contraire, il se peut que des psychopathologies soient diagnostiquées là où il n’y en a pas. Par exemple, parlant des individus mobilisés par un besoin ontique, par une recherche, une réflexion intérieure « …ils marquent un désintérêt pour les conversations de salon, les échanges de banalités, les mondanités ou autre formes de relations sociales ; ils peuvent alors s’exprimer ou se comporter de manière déroutante, choquante, insultante ou blessante. […] Ils ne sont pas à l’abri de la culpabilité, de l’anxiété, de la tristesse, de l’autopunition, de la lutte intérieure et du conflit. Le fait qu’il ne s’agisse pas de phénomènes névrotiques est peu pris en compte par la majorité de nos contemporains (y compris les psychologues), qui ont donc tendance à les considérer comme des individus psychiquement malades » (2008, p234). Il ajoute « L’indépendance relative par rapport à l’environnement que l’on trouve chez un sujet sain ne signifie pas, bien sûr, une absence de lien avec
celui-ci » (ibid. p.91).
La frustration d’un métabesoin est pathogène et sa satisfaction est salutaire (Maslow - 2008, p109). Naturellement, « La frustration des besoins supérieurs ne provoque pas de réaction de défense et d’urgence aussi désespérées que la frustration des besoins inférieurs » (2008, p.114) et « le respect est luxe pour qui a faim ou est en danger ».
L’existence des besoins supérieurs indique qu’on ne peut se fier à la manifestation superficielle du comportement pour diagnostiquer la nature du mal et la source dont souffre le sujet. « Un même symptôme psychopathologique peut se rapporter à plusieurs désirs différents, voir opposés » (2008, p.45). A l’inverse, une même cause peut produire des effets différents « Les colères d’un enfant ou l’énurésie chez un autre peuvent provenir de la même situation (le rejet) et représenter des tentatives à atteindre le même but (l’attention ou l’amour de la mère) » (2008, p.327).
Les maladies psychologiques sont ici considérées comme des maladies carentielles (Maslow - 2006, p.43), qu’il s’agisse des besoins fondamentaux ou des besoins ontiques.
A mon sens les besoins ontiques existent dès le début de l’existence d’un être, même s’il ne peut ni l’exprimer, ni même peut être en avoir conscience. Qu’il s’agisse de Frans Veldman parlant de l’assurance qu’on donne à un enfant en le considérant (on lui donne sa base, son fondement), qu’il s’agisse de Donald Wood Winnicott évoquant le regard de la mère (comme ressource pour un être qui n’a pas encore fait le pas vers le monde extérieur et qui aura besoin de transition pour y parvenir) nous pressentons que le besoin ontique est là, dès le départ. Il fait partie de la nature humaine si on ne l’éteint pas.
Pourtant le besoin ontique est souvent malmené pour de nombreuses raisons. Les sensations internes sont invitées à se taire. Maslow remarque que les sensations internes sont affaiblies ou absentes chez le névrosé (2006, p.55), mais la névrose, à mon sens, n’est probablement pas la seule cause de cette extinction. Peut être même est-ce justement cette extinction qui provoque la névrose ! L’extinction des sensations internes est hélas préconisée par l’éducation : « ne t’écoute pas, va de l’avant, dépasse toi, ne fais pas attention à tes bobos, il y a plus malheureux que toi… ». Les besoins ontiques sont, dès le départ, censurés. Cette coupure d’avec les sensations internes est le reflet d’une préconisation culturelle qui éloigne l’individu de sa véritable nature. De même, quand la psychologie tente de « guérir » un symptôme, elle participe à ce monde du silence, du silence de l’être, qu’on n’entend plus, et qui pourtant « crie » avec les symptômes qui sont le seul langage qui lui reste pour s’exprimer. Le patient attend alors le praticien qui saura entendre l’être qui s’exprime en lui.
Si Maslow ne met pas l’accent sur les traumatismes en tant que source psychopathologique, il parle cependant de « menace ». Il signale que la privation d’un besoin fondamental ne constitue pas une source de psychopathologie à elle seule, car le besoin peut souvent être contourné, substitué, reporté. Ce qui est source de psychopathologie, c’est la menace, la privation menaçante. Ce qui est le plus menaçant, selon Maslow, ce sont les privations mettant en péril notre personnalité fondamentale (2008, p.141, 145).
Sont considérées comme menaçantes toutes les choses ou tous les êtres mettant en péril durablement des besoins fondamentaux ou des métabesoins (ibid. P146).
Cette approche par rapport aux besoins fondamentaux et surtout par rapport aux métabesoins est très intéressante car elle conduit à considérer la psychopathologie sous un nouvel angle. Je ne peux que souscrire à cette importance essentielle des besoins ontiques et en viens moi-même à pointer qu’en psychothérapie, l’absence d’attitude ontique du praticien est une catastrophe engendrée par la croyance dans une soi-disant nécessaire « distance thérapeutique ». J’ai longuement abordé ce point dans ma publication sur la validation existentielle. Pourtant, j’apporterai une nuance. La menace est effectivement une notion majeure, surtout si on tient compte de sa subtilité sur le plan ontique, mais je souhaiterai la préciser en ce sens où chaque part de soi, à chaque instant de notre existence, est sensée pouvoir faire partie de nous dans tous les instants ultérieurs.
Or, sous l’effet de menaces, ces parts de soi sont reléguées dans l’inconscient qui devra en assurer le « gardiennage » jusqu’à ce que des jours meilleurs en permettent l’intégration.
Je pointerai dans les métabesoins (besoins ontiques), le besoin d’intégrité où ce qu’on est à chaque instant dans notre existence, devra pouvoir ouvertement faire partie de soi à chaque instant ultérieur de notre existence. Ce qui entrave cette possibilité est la croyance que nous sommes habités par « du mauvais » et que « il faut se méfier de ce qui nous habite ». Je suis reconnaissant à Maslow d’avoir souligné cette problématique qui consiste à toujours rechercher du mauvais à éradiquer plutôt que du bon à révéler. Je donne cependant à ce concept une nuance très affinée en précisant que ce qui nous à conduit à une telle dérive, c’est cette incapacité à différencier entre les êtres et les choses, à croire que les causes sont les circonstances… alors que la cause, c’est le projet que nous avons de retrouver celui que nous étions lors de ces circonstances. Le piège est d’avoir tourné notre attention vers les événements traumatisants en croyant qu’il fallait se défaire d’un poids. Le piège est d’avoir raisonné en termes de « à cause de » plutôt qu’en termes de « spécialement pour ». Le symptôme n’est ainsi pas la conséquence du traumatisme, mais le moyen par lequel l’individu tente de revenir vers lui-même, de réintégrer une part de lui-même blessée, jamais reconnue dans sa valeur ontique, mais toujours associée à l’événement dommageable.
Décrivant combien, aujourd’hui, on a mis l’accent sur la satisfaction des besoins fondamentaux (pulsions du ça) et qu’on est même capable d’apporter une aide chaleureuse à quelqu’un, Maslow fait remarquer (2008, p.92), que le mieux-être attendu ne se produit pas pour autant dans ce cas. En effet, devenir « l’objet de soins attentifs » nous maintient en tant qu’objet et cela ne peut nous satisfaire sur le plan ontique (celui des pulsions du Soi). De plus, il souligne que « L’amour et le respect pour l’enfant doivent au minimum être intégrés à l’amour et au respect pour soi-même en tant que parent et pour l’adulte en général » (ibid. p.92), considérant ici les besoins ontiques concernant toute la vie d’un être.
La grande différence entre un besoin fondamental ou ontique et un besoin névrotique, c’est qu’un besoin fondamental ou ontique satisfait amène un apaisement alors que la satisfaction d’un besoin névrotique n’en amène pas et laisse la même faim. Concernant les besoins fondamentaux, nous avons vu que la « faim » se déplace d’un besoin inférieur vers un besoin supérieur, et que le besoin inférieur s’estompe au profit d’un suivant, plus élevé. Dans le cas des besoins névrotiques, le même besoin persiste, même quand il est satisfait. Sa satisfaction ne produit pas de montée vers un besoin supérieur, il ne participe pas à la croissance de l’être.
« Pour le névrosé moyen, le goût normal pour le neuf et l’inconnu fait défaut ou reste faible » (Maslow - 2008, p.63). Il ne passe pas d’un besoin inférieur vers un besoin supérieur, mais tourne dans la même zone continuellement, sans trouver satisfaction. L’apparence semble donc infirmer les notions de besoins fondamentaux, mais il n’est est rien. L’enjeu est simplement ici d’une autre nature. Si Maslow a parfaitement exploré une nouvelle zone de la psyché (celle des besoins et métabesoins), il a peut-être négligé cet aspect selon lequel le névrosé reste sur le même besoin parce qu’une part de lui attend. Il ne peut aller de l’avant sans l’emmener avec lui et, le type de « besoin névrotique » qui se manifeste, n’est que le moyen de se rapprocher de cette part de soi dont il a perdu la trace.
Il s’agit en fait d’une dimension ontique dans laquelle l’être est en quête de lui-même et ne rencontre souvent, hélas, que des praticiens voulant le débarrasser de quelque chose, alors qu’en réalité, il recherche quelqu’un : lui-même au plus profond de lui.
Si Maslow précise que la satisfaction des besoins névrotiques n’amène pas d’apaisement, il pointe cependant que leur frustration n’amène pas de pathologie supplémentaire et même que « la non satisfaction d’un besoin névrotique peut contribuer à l’amélioration de la santé psychique » (2006 p.413). En effet, sa non satisfaction permet d’examiner plus en profondeur la part de l’être qui s’exprime, de l’identifier puis de l’accueillir au sein de la psyché pour lui donner sa juste place.
C’est du moins de cette façon qu’il sera abordé en maïeusthésie [pour plus de détails, lire sur ce site la publication d’avril 2004 « Communication thérapeutique ») ou pour encore plus de précisions, mon ouvrage « L’écoute thérapeutique » (ESF, 2005)].
Si nous comprenons bien que les besoins physiologiques relèvent de l’instinct, cela est moins évident pour les besoins psycho-sociologiques et encore moins pour les besoins ontiques. Comme les expérimentations sur les animaux permettent de mettre aussi en évidence des besoins de sécurité ou d’appartenance, le côté instinctoïde peut encore aisément se concevoir à ce niveau. Mais quand il s’agit des besoins d’accomplissement de soi, qui est la marge vers l’ontique, dans quelle mesure cela est-il encore de nature instinctive ?
Bien que Maslow aille très loin dans la reconnaissance de l’être, dans la subtilité existentielle de l’individu tendant vers plus d’humanité, il estime qu’il s’agit, là aussi, d’instincts, mais d’instincts propres à l’homme, qui le distinguent de l’animal. C’est d’ailleurs ce qui fait que, selon lui, on ne peut réaliser en laboratoire des expérimentations sur les comportements des animaux et en faire des déductions sur les comportements humains (c’est même ce qui l’a éloigné du béhaviorisme). Si néanmoins cela fonctionne plus ou moins avec les besoins fondamentaux (que nous avons en commun avec les animaux), cela ne fonctionne plus avec les besoins ontiques ou métabesoins qui sont spécifiques à l’humain.
La tendance à l’accomplissement de soi et les métabesoins qui en découlent sont selon Maslow également instinctoïdes et portent l’individu à devenir de plus en plus humain par un élan naturel.
Nous retrouvons là les notions de pulsions où personnellement je distingue la pulsion de survie (qui pourrait être en partie constituée des besoins fondamentaux) et la pulsion de vie (qui pourrait en partie être constituée des besoins ontiques.
Pour le lecteur qui souhaite plus de détails à ce sujet, je le renvoie vers les publications « Psychopathologie » (avril 2008) à « regard maïeusthésique » , ou mon ouvrage « L’écoute thérapeutique » (2008, chapitre 33 p.172).
Je ne pouvais rédiger cet article sans évoquer la notion de « synergie » qui a tellement interpellé Maslow. La synergie consiste en le fait que ce qui profite à l’un ne dépossède pas l’autre. En fait, c’est une version intéressante de l’assertivité, (dans l’assertivité, on a en même temps l’affirmation de soi et le respect d’autrui, alors que dans les rapports sociaux habituels, on ne se positionne souvent qu’au détriment de l’autre, ou on ne respecte l’autre qu’au détriment de soi). L’assertivité est vue en psychologie comme l’attitude la plus performante, contrairement aux autres attitudes, qui sont en descendant : « la manipulation », « le conflit » ou « la fuite ».
« L’assertivité » correspond aux niveaux ontiques, alors que la « manipulation », le « conflit » ou la « fuite », sont des tentatives de satisfaire des besoins fondamentaux d’estime, d’appartenance, de sécurité ou de survie pures et simples face à un danger.
Maslow ne parle cependant pas d’assertivité (Il est vrai que la notion d’assertivité n’est apparue que vers les 1950 avec Andrew Salter et Joseph Wolpe). Pourtant ses propos y font fortement penser. Il ne se contente pas d’observations dans son environnement immédiat, il prolonge sa réflexion avec des études anthropologiques touchant d’autres cultures, et notamment avec les travaux de Ruth Benedict, qui est à l’origine de ce concept de synergie.
Ruth Benedict (professeur d’anthropologie à l’université de Columbia) s’est interrogée à propos des sociétés à synergie forte et des sociétés à synergie faible.
Elle se demanda quelles en étaient les différences de fondement produisant leurs fonctionnements si opposés. Elle étudia les Zuni, les Arapesh, les Piegan (Pieds Noirs) du nord, les Dakota et un groupe Esquimo pour les sociétés de type « confiantes » et les Chuckchee, les Ojibwa, les Dobu et les Kwakiutl pour les autres (Maslow, 2006, p. 225).
Ruth Benedict découvrit que le niveau bas ou élevé de synergie d’une société dépend de son système de répartition des richesses. Les sociétés à synergie élevée avaient un système de répartition des richesses et les sociétés à synergie basse privilégiaient des systèmes de canalisation des richesses, faisant que la richesse aille vers la richesse et la pauvreté vers la pauvreté… que la richesse engendre encore plus de richesse et que la pauvreté engendre encore plus de pauvreté.
« Dans les sociétés à synergie élevée, à l’inverse, la richesse tend à être répartie largement […] D’une manière ou d’une autre, elle descend du riche vers le pauvre, au lieu de remonter du pauvre vers le riche » (Maslow – 2006, p.228).
Il convient aussi de comprendre que dans une telle société, le riche n’est pas dépossédé, mais reçoit beaucoup en échange de ce qu’il distribue. La « transaction » est telle, que les deux parties ressortent enrichies et avec des besoins, fondamentaux ou ontiques, réciproquement satisfaits, leur procurant une vie meilleure.
Ruth Benedict a vu cela chez les « Pied Noirs du nord » et Maslow, dubitatif au départ, pu constater ce fonctionnement. Il convient pour en savoir plus à ce sujet de lire l’ouvrage de Maslow, « Etre Humain » (Eyrolles, 2006, p. 223 à 236) ainsi que les documents qu’il cite en bibliographie..
Une remarque intéressante, dans l’étude des religions de ces sociétés, est que dans les sociétés à synergie basse, les Dieux et Déesses sont effrayants, vengeurs et très protocolaires, alors que dans les sociétés à synergie haute, ils sont remplis d’humour, de gentillesse et sont extrêmement simples et abordables.
Maslow, pour vérifier cela en fonction des niveaux fondamentaux ou ontiques dans notre propre culture, a enquêté auprès d’étudiants du Brooklyn College, en leur posant une question : « Imaginez que vous vous réveillez au milieu de la nuit et que vous sentiez la présence de Dieu dans la pièce ou à votre chevet, que ressentiriez-vous ? » (2006, p.231). Les étudiants confiants (plus ontiques) évoquèrent l’idée de réconfort, les autres celle de terreur.
Maslow se désole que la compétition produise une synergie faible, y compris à l’université où l’échec des uns augmente les chances de réussite des autres.
La synergie faible semble favoriser la violence et la synergie élevée la non-agression car nous y trouvons que « le même acte sert son propre avantage et celui du groupe » (2006, p.226). Dans les sociétés observées « Ce sont ces hommes qui apportaient des bienfaits à leur tribu, qui méritaient sa fierté et qui réchauffaient le coeur de leurs frères » (ibid, p.229).
Autre remarque importante : « les sociétés dotées de synergie élevée ont toutes mis au point un arsenal de techniques visant à effacer l’humiliation, contrairement aux sociétés à faible synergie qui n’en disposent pas. Pour ces dernières, la vie s’accompagne de mortifications, d’oppressions, de souffrances. Il doit en être ainsi.
Dans les quatre modèles de sociétés méfiantes définies par Benedict, l’humiliation était incessante, elle perdurait, elle ne prenait jamais fin ; alors que dans les sociétés confiantes, il y avait toujours moyen d’y remédier, de payer sa dette et de s’en laver définitivement. » (2006, p.231 et 232).
Ce qui est intéressant c’est d’avoir étudié différents modèles de sociétés et d’y retrouver des fonctionnements humains que nous retrouvons dans la notre, y compris sur le plan individuel. Ces quelques notions se révèlent intéressantes pour optimiser les rapports humains dans un environnement social ou professionnel, autant que pour améliorer un épanouissement personnel.
Ces quelques éléments concernant les possibilités ontiques d’une société m’ont semblé intéressants à rapporter dans cet article, car l’individu et son environnement ne sont pas vraiment dissociables. Quand l’environnement tend à devenir une menace pour les besoins ontiques, nous l’avons vu, l’individu prend de la distance.
Mais d’un autre côté il ne peut vivre sans cet environnement et cela lui pose problème « Même les individus les meilleurs vivant dans des conditions sociales déplorables adoptent de mauvais comportements » (Maslow, 2006, p.239). Mais d’un autre côté, comme ce sont ces individus qui constituent cette société, par où convient-il de commencer ? « Nous postulons qu’il n’est pas nécessaire de changer d’abord l’un avant de modifier l’autre, c'est-à-dire l’homme ou la société » (ibid., 238) car il s’agit d’un rapport systémique entre les deux. Nous avons là un ensemble dynamique dont les deux parties sont intriquées.
Si nous considérons un ensemble simple constitué de seulement deux éléments. Il y aura un élément que nous pouvons convenir d’appeler A. L’autre élément, celui qui n’est pas A pourra alors se nommer « non A ». (nous pourrions même rapprocher un tel propos de la réflexion du sage bouddhiste Thich Nhat Hanh nous évoquant l’idée de Soi et de non-soi [1997, p.73]).
Considérons donc cet ensemble E constitué de deux éléments : les éléments « A » et « non A » (où l’appellation « non A » désigne simplement ce qui n’est pas « A »).
Si dans une démarche atomiste (analytique) nous décidons d’extraire « A » puis d’extraire « non A », pour les étudier séparément, dans l’espoir de mieux comprendre l’ensemble E. Nous obtiendrons alors des informations concernant
« A » puis concernant « non A ». Il se trouve que si nous faisons la sommes de ces informations, nous n’auront pas une vision de l’ensemble E, car E constitué de « A » et de « non A » ne revient pas à simplement « A » + « non A », mais à la complexe interaction des deux. Les séparer est artificiel car ils sont intriqués, et l’état de l’un joue sur l’état de l’autre et réciproquement.
Cette étude disséquée peut néanmoins avoir son intérêt, mais ne rend pas compte de l’ensemble dynamique où tous les éléments sont en interaction et où c’est l’interaction qui fait la spécificité de chaque élément (peut-on encore parler de spécificité ?). C’est sans doute cela qui rend l’approche « scientifique » si délicate à ce sujet : « …nous savons parfaitement qu’il y a dans le paradigme expérimental classique, des milliers de variables qui sont supposément, mais pas effectivement contrôlées et très loin d’être maintenues constantes » (Maslow, 2006, p.96). Nous sommes aussi limités pour nous représenter la réalité de la psyché individuelle ou de la société, qu’on l’est en géométrie pour se représenter en trois dimensions un hyper cube qui en a quatre, ou en géographie pour réaliser une carte du monde à plat (planisphère) pour représenter la surface sphérique du globe terrestre. Nous ne le faisons qu’avec de multiples déformations et le résultat final n’est qu’une pâle représentation de la réalité dont les propriétés essentielles ne sont pas du tout reflétées fidèlement (le fait par exemple que sur une sphère on est en tout point au centre de tout le reste… cela n’apparait pas sur un rectangle !).
Denis Noble, pionnier de la biologie des systèmes (2007) nous en parle à propos du code génétique qui ne prend sens qu’avec un environnement. Il ne s’agit ni seulement du code génétique, ni seulement de l’environnement, mais de l’ensemble des deux qui fait que tels ou tels gènes s’expriment ou non.
« En résumé, cette méthode de classification fondée sur le concept fondamental ˝d’être contenu dans˝ et non ˝séparé de˝, est peut être la clé qui nous manquait » (2008 p.343). « Il n’est pas, par exemple, concevable que nous puissions dissocier le comportement d’estime de soi des autres comportements, pour la simple raison qu’il n’existe pratiquement pas de comportement qui ne soit que comportement d’estime de soi et rien d’autre » (2008, p.351).
Nous voyons pourquoi la séparation trop stricte des niveaux de besoin n’est pas satisfaisante. Ils sont tous là en permanence et dans des proportions variables, s’influençant plus ou moins les uns les autres.
« Non seulement l’homme est une PARTIE de la nature, et la nature est une part de lui, mais il doit aussi être isomorphe (semblable à elle) afin d’être viable en elle. » (Maslow - 2006, p.367). Nous pourrions dire de même avec la société et chacun de ses membres.
Maslow nous fait remarquer que nous avons longtemps cru à un monde immobile.
Nous en trouverions le cheminement historique détaillé dans tout le début de l’ouvrage de Trin Xuan Thuan (astrophysicien) « La mélodie secrète de l’univers » (1991). Nous aurions tout autant d’éléments historiques sur l’histoire de la science avec « Zéro, La biographie d’une idée dangereuse » de Charles Seife (2002) nous expliquant combien les scientifiques d’autrefois ont résisté au chiffre zéro, jusqu’en 1500, après qu’il ne soit que timidement apparu seulement au XIIe siècle ! (2002, p.97)... tout cela parce que Aristote avait puissamment inculqué que le vide n’existait pas. Nous trouvons là de brillants exemples illustres montrant combien une idée neuve peine à se frayer son chemin.
Penser autrement la psyché revient un peu à cela. Il convient de penser autrement et de ne pas forcément s’appuyer sur les concepts physiques pour comprendre ce qui est psychique. De nombreux pionniers s’y sont attelés, mais il semble que Maslow fasse partie des rares qui se sont dégagés des croyances qui conduisent à être persuadé que l’humain est habité par de mauvaises choses à corriger ou à éliminer.
Nous trouvons là une révolution aussi grande que d’abandonner la croyance d’Aristote selon laquelle le vide n’existe pas. Il s’agit dune révolution aussi grande que d’affirmer que la terre n’est pas au centre de l’univers (à une certaine époque c’était très mal vu, et certains l’ont même payé de leur vie).
En bref, Maslow nous invite à penser différemment et à ne plus décortiquer pour comprendre, mais à avoir un regard plus holiste (plus global), plus systémique.
Continuer à faire des études détaillées point par point sur des personnes isolées, pour en déduire des règles générales statistiques, revient un peu à nous trouver en face de paradoxes semblables à ceux de Zénon d’Élée, et les résultats nous mentent avec détermination (Maslow - 2008, p.352). Il importe de ne pas se comporter dans l’étude de la psyché de l’humain avec une logique pareille à celle que Zénon nous proposait dans ses paradoxes.
Dans son paradoxe de la pierre lancée vers un arbre, Zénon démontre que la pierre n’atteint jamais l’arbre si on considère qu’elle doit d’abord parcourir la moitié de la distance la séparant de cet arbre, puis la moitié de la distance restante et ainsi de suite. Chaque distance restante pouvant être divisée en deux, la flèche n’atteint jamais l’arbre. Cette démonstration, bien que logique, ne correspond pas à la réalité et c’est là le défi que lançait Zénon.
Pareillement avec celui de la flèche que l’on observe à des instants séparés, chacun de durée nulle. La flèche est à chaque fois vue immobile dans chaque instant de durée nulle… donc il n’y a pas de mouvement. Là aussi l’expérience montre le contraire de cette logique.
Il se trouve qu’observer les situations complexes, systémiques, interactives ou en synergie, comme s’il s’agissait d’événements isolés, revient à faire les déductions logiques de Zénon, ne correspondant pas à la réalité (quand bien-même elles sont démontrées par la logique). On peut s’y amuser par jeu, mais il importe de rester très circonspect par rapport aux déductions pseudo scientifiques qu’on prétend en tirer. Isoler un élément du tout en permet une étude plus commode, mais ne reflète pas la réalité globale.
C’est un peu comme si la météo se contentait d’étudier un nuage pour prévoir le temps. Quand bien même son étude du nuage serait très méthodique et détaillée, elle doit aussi prendre en compte de nombreux paramètres extérieurs et très éloignés pour optimiser sa prévision… paramètres si nombreux que seuls de puissants ordinateurs sont capables de les gérer en même temps car il faut aussi les mettre en corrélation.
Vouloir comprendre l’humain en l’étudiant hors des concepts holistes revient à faire des prévisions météorologiques à partir d’un seul nuage.
Naturellement la prise en compte systémique n’est pas toujours aisée et sera plus le fait de la sensibilité et des intuitions du praticien, que du travail d’un ordinateur ou de la mise en oeuvre d’une technique sophistiquée. Il devra mettre en oeuvre son « humanité » pour capter cette « humanité » qui est en face de lui.
Du moins en psychothérapie, le praticien se doit-il de tenir compte du proche environnement du sujet (enfants, parents, conjoint) et comprendre comment ce qui se passe pour l’un est utile à l’autre et inversement. Comprendre que le symptôme de l’un est parfois un message destiné à une révélation en l’autre…. etc. Cela concerne les enfants, les parents et les grands-parents dans un regard qui peut aussi être transgénérationnel (lire à ce sujet le dernier chapitre de ma publication2008 sur la psychopathologie).
Ma publication précédente traitait de la validation existentielle. Ontique par excellence, elle met le praticien en situation de satisfaire ce qu’il y a de plus attendu chez le sujet qui le consulte. Valider un être dans ce qu’il a de plus précieux en lui est une façon de lui permettre d’être au monde, d’être vraiment lui, de ne pas avoir besoin de cacher ce qu’il est, ni aux yeux des autres, ni à ses propres yeux. « Nous espérons, bien sûr, que le conseiller sera celui qui pourra favoriser l’accomplissement des individus plutôt que celui qui aidera à guérir une maladie » 2006, p.72, 73). Maslow nous dit ici que le problème n’est pas tant l’aspect pathologique que la notion d’individu « en devenir de soi », « en devenir de lui-même ».
Les valeurs existentielles sont fondamentales et celui qui ne regarde que la pathologie ne peut les percevoir. « Les valeurs ontiques sont ce à quoi beaucoup de gens (la plupart ? tous ?) aspirent profondément (décelable en thérapie approfondie) » (2006, p.159).
Naturellement il ne s’agit pas de nier les troubles psychiques, d’oublier que les psychotiques ne perçoivent pas la réalité extérieure mais la remplacent par leur monde intérieur, que les borderlines font l’inverse et mettent le monde extérieur dans leur intérieur psychique car celui-ci n’est plus perceptible, d’où leurs tendances addictives (chez eux l’extérieur vient compenser le vide intérieur, alors que chez le psychotique l’intérieur vient compenser le vide extérieur), ni le névrosé qui perçoit le monde extérieur et le monde intérieur, mais peine à se démêler du conflit que cela engendre en lui (lire à ce sujet ma publication sur les différents aspects de la psychopathologie d’avril 2008).
Toutes ces manifestations méritent d’être mentionnées, étudiées et soignées… mais avec quel type de soin ? Là est la question ! Il n’y a pas de « bonnes » ou de « mauvaises » techniques de soins, en ce sens où toute technique peut être correcte si elle est à sa place, et posée sur des bases justes. La difficulté est souvent la non reconnaissance ontique de l’individu psychiquement malade, dont on s’occupe plus de sa maladie que de lui… au point que ça finirait presque par être sympa « d’être une maladie » pour être vu et qu’on s’occupe de soi.
Ce ne sont pas les techniques qui sont en cause, qu’il s’agisse d’analytiques psychodynamiques, de TCC, de systémiques, de psychocorporelles…c’est l’esprit avec lequel ces techniques sont mises en oeuvre. Sur ce point, Abraham Maslow nous donne des éléments clés, qu’il ne nous invite pas à suivre aveuglément, mais à saisir pour une réflexion complémentaire, avec toute la sensibilité et la créativité ontique dont nous sommes capable de faire preuve, tout en restant rigoureux, mais aussi holistes, ouverts, inspirés.
Thierry TOURNEBISE
Bibliographie
Descartes, René : Descartes, OEuvres Lettres ; Règles pour la direction de l’esprit ; La recherche de la vérité par la lumière naturelle ; Méditations ; Le discours de la méthode
Dubois, Jacques et Chaline, jean : Le monde des fractales – Ellipse, 2006
Freud, Sigmund : Le narcissisme – Tchou Sand 1985
Maslow Abraham : L’accomplissement de soi – Eyrolles, 2004 ; Etre humain - Eyrolles, 2006 ; Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008 ; Psychologie existentielle – Editions Epi, 1971
Merleau-Ponty, Maurice ; L’oeil et l'esprit -Folio plus, Gallimard, 2006 ; Noble, Denis ; La musique de la vie, la biologie au-delà du génome - Seuil 2007
Preretti (de), André : Présence de Carl Rogers- Erès, 1997
Rogers, Carl : Le développement de la personne – Interéditions, 2005 ; La relation d’aide et la psychothéapie ; ESF 1996 ; Psychologie existentielle – Editions Epi, 1971
Seife, Charle : Zéro, La biographie d’une idée dangereuse - JC Lattès, 2002
Tournebise, Thierry : L’écoute thérapeutique – ESF, 2005
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